Afghanistan : “C’est absolument indispensable” de dialoguer avec les talibans, pour un ancien diplomate français

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Invité de franceinfo, l’ancien diplomate et ambassadeur de France à Kaboul de 1979 à 1981, Jean-Yves Berthault estime qu’il est nécessaire de maintenir le dialogue avec les talibans, après leur prise par les armes de la capitale Afghane il y a 10 jours.

“C’est absolument indispensable” de dialoguer avec les talibans en Afghanistan, pour Jean-Yves Berthault ce mardi sur franceinfo, 10 jours après la prise de Kaboul par les talibans. L’ancien diplomate a été ambassadeur de France à Kaboul de 1979 à 1981, puis conseiller politique de la mission spéciale de l’ONU en Afghanistan en 1997 et chef de la mission diplomatique française à Kaboul de 1998 à 2001.

franceinfo : Faut-il dialoguer avec les talibans ?

Jean-Yves Berthault : Je crois que c’est absolument indispensable et c’est indispensable de le faire très vite. Kaboul est dans une grande confusion, au-delà des images de grande détresse humaine à l’aéroport, on voit que les talibans sont comme une poule qui a trouvé un couteau. Ils ont laissé les banques fermées alors qu’il n’y a pas de raison de sécurité d’agir de la sorte. Les administrations sont également fermées. En fait, eux-mêmes sont très désemparés parce qu’ils ne s’attendaient pas à rentrer dans Kaboul si tôt.

Si les Américains et les autres Occidentaux ont été pris de court, les talibans aussi. On est donc dans une situation où le peuple va terriblement souffrir et il faut penser au peuple afghan. Au-delà du déplaisir total qu’on peut avoir à voir les talibans prendre le pouvoir en Afghanistan, on doit dialoguer avec eux, d’abord pour mieux comprendre vers quoi ils tendent puisque nous avons des signaux contradictoires, et c’est seulement par le dialogue qu’on arrivera à ça, et il faut aussi avoir des canaux de communication qui nous permettront d’aider la population afghane.

“Au-delà du déplaisir total qu’on peut avoir à voir les talibans prendre le pouvoir en Afghanistan, on doit dialoguer avec eux” Jean-Yves Berthault à franceinfo

Selon le Washington Post, le directeur de la CIA a rencontré l’un des cofondateurs des talibans. Que pensez-vous qu’ils se sont dit ?

C’est un échange dont on peut imaginer qu’il fût très technique pour régler des affaires de court terme et en particulier l’assistance humanitaire et alimentaire que la communauté internationale doit prodiguer au peuple afghan. L’échange a sans doute aussi servi à commencer à débroussailler ce que pourraient être des relations extérieures. La première réaction un peu humaine c’est de rejeter des gens qui ne nous ressemblent pas, et effectivement les talibans sont aux antipodes de ce que nous pouvons être, mais je crois personnellement aux vertus du dialogue.

Vous-même avez déjà côtoyé les talibans, vous avez dialogué avec eux. Pensez-vous qu’il est possible d’obtenir quelque chose de leur part ?

Le mot “taliban” est un concept, une sorte de marque qui recouvre des réalités extrêmement différentes, d’un membre de ce mouvement à l’autre. C’est tout un agrégat. Il y a 20 ans, il y avait des bandits de grands chemins, d’anciens moudjahidines, des hommes politiques désemparés qui ont saisi le train en marche… Il y avait de tout. J’ai dialogué avec eux pendant quatre ans et demi, inlassablement, et parfois avec des résultats intéressants. J’ai réussi à leur faire comprendre qu’il fallait qu’ils rouvrent les hôpitaux aux femmes. J’ai sauvé des gens de la mort. Le dialogue permet d’obtenir des choses.

“J’ai sauvé des gens de la mort. Le dialogue permet d’obtenir des choses.” Jean-Yves Berthault à franceinfo

Au fur et à mesure, on connaît les gens et on les convainc, ou on ne les convainc pas mais en tout cas sans dialogue on n’y arrivera pas. On ne négociera pas avec eux le fait que l’Afghanistan sera ou ne sera pas soumis à la charia, bien sûr qu’il le sera. Mais on peut marquer des lignes rouges. Et je pense que les talibans ne sont plus tout à fait les mêmes qu’il y a 20 ans. Ils ont découvert le monde. Il y a 20 ans, ils descendaient de leurs montagnes. Aujourd’hui, tous les grands dirigeants viennent de Doha, où ils ont négocié avec les Américains pendant deux ans.

Afghanistan : La défaite de Joe Biden - 31/08

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Le président des États-Unis est vivement critiqué pour sa gestion de la question afghane. Cela alors que les dernières évacuations américaines ont eu lieu à Kaboul. Joe Biden est surtout critiqué par le camp républicain, mais aussi par les anciens militaires. On en parle en plateau avec Ulysse Gosset, éditorialiste politique internationale BFMTV. Jean-Yves Berthault, ancien diplomate et ambassadeur de France à Kaboul, auteur de “Déjeuners avec les talibans” (éd. Saint-Simon, sortie le 2/09/2021). Et en duplex avec Victoria Fontan, Française rapatriée de Kaboul, vice-présidente de l’Université Américaine d’Afghanistan. Marie Gentric, corrspondante i24News à New York (États-Unis).

Afghanistan : le point sur les forces de Daech dans le pays

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Afghanistan : le point sur les forces de Daech dans le pays

DÉCRYPTAGE - Daech est désormais l’ennemi public numéro un des talibans. Malgré une absence de base géographique solide, le groupuscule s’appuie sur des cellules dispersées pour tenter de déstabiliser un peu plus l’Afghanistan.

Depuis l’attentat perpétré jeudi devant l’aéroport de Kaboul, qui a tué 85 personnes, dont 13 soldats américains, et fait plus de 160 blessés, leur nom est sur toutes les lèvres. Les soldats du groupe Etat islamique ont ainsi confirmé leur volonté d’étendre leur influence et semer la terreur sur un pays déjà au bord du chaos, à l’heure où des milliers d’Afghans tentaient de fuir le territoire tombé aux mains des talibans, via les ponts aériens affrétés par les puissances occidentales. Quelques jours avant cette attaque-suicide, celles-ci mettaient déjà en garde leurs ressortissants et la population civile contre la menace planante de Daech aux abords du site. Le groupe terroriste avait été pourtant discret ces dernières semaines. Mais selon une récente enquête de l’ONU, Daech peut encore s’appuyer sur 1500 à 2200 combattants dans le pays. Cette filiale locale rassemble d’anciens talibans pakistanais et des Afghans déçus par les insurgés qui ont quitté leurs rangs.

Toute l’info sur L’Afghanistan aux mains des talibans

Ces défections risquent de se multiplier dans les prochaines semaines, tandis que l’organisation islamiste s’est positionnée en rupture avec les insurgés talibans depuis des années, qu’elle considère comme des apostats. Les djihadistes leur reprochent d’être entrés en négociation avec les États-Unis, notamment dans l’organisation des évacuations de civils y compris afghans depuis Kaboul ces quinze derniers jours. “On ne peut pas du tout écarter l’idée que des individus tout à coup ne se reconnaissent pas dans le mouvement des talibans, et qu’ils saisissent l’occasion de rejoindre un groupe plus vindicatif et djihadiste”, estime Jean-Yves Berthault, ancien ambassadeur de France à Kaboul, dans le sujet du 20H de TF1 en tête de cet article.

216 attaques perpétrées depuis le début de l’année en Afghanistan

À sa création en 2015, cette branche afghane de Daech était active dans la province historique de Khorasan, à cheval entre l’Iran et une partie de l’Asie centrale, zone dont elle tire son nom : l’EI-K en français, l’État Islamique au Khorasan. Mais très vite, son champ d’action s’est réduit le long de la frontière avec le Pakistan, après que ses combattants aient été délogés par les troupes afghanes et américaines en 2019. Si l’État islamique ne peut désormais compter que sur ses quelques zones d’activité à l’est de la capitale, il lui reste toutefois quelques cellules dormantes dans le pays pour adapter son mode d’action.

Carte de l’implantation de la branche afghane de Daech dans la région du Khorasan. − Images TF1

Depuis trois ans, les attaques visent en premier lieu les villes, dans des attentats sanglants perpétrés grâce à des voitures piégées ou des ceintures d’explosifs, comme dans une salle de mariage en 2019, où 91 personnes avaient trouvé la mort. L’objectif reste le même : faire un maximum de victimes civiles pour déstabiliser le pouvoir en place, en particulier parmi des musulmans qu’ils considèrent comme des hérétiques, à savoir notamment les chiites.

“Ils ont adopté une stratégie de terrorisme urbain, et celui de l’aéroport était une opportunité inespérée pour se redonner une visibilité mondiale qu’ils avaient partiellement perdue dans le cadre du théâtre afghan”, analyse David Rigoulet-Roze, spécialiste du Moyen-Orient et chercheur à l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques (IRIS). Depuis le mois de janvier, pas moins de 216 attaques ont été recensées par l’ONU en Afghanistan : un chiffre tragique multiplié par six par rapport à l’année précédente.

La rédaction de LCI

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